Hier j'ai fini la lecture du livre de la blogueuse égyptienne Shahinaz Abdel Salam: Égypte, les Débuts de la Liberté. Un livre de 189 pages que j'ai dévoré en moins de 48 heures. Un livre qui relate l'expérience d'une vie, l'expérience de toute une génération de blogueurs et cyber-activistes qui ont rêvé, qui rêvent, qui rêveront de changer le monde malgré tous les obstacles qu'ils peuvent rencontrer sur un chemin pavé d'épines. Les ressemblances et les similitudes entre les développements en Tunisie et en Égypte sont saisissantes et frappantes. Shahinaz ouvre son livre en racontant son retour en Égypte en Février 2011 après des mois et des mois passés en France; des sentiments divers, mitigés, et entremêlés, des mots se bousculant dans la tête...
Les sentiments d'une cyber-activiste ayant toujours été aux premières lignes de la bataille depuis des années et des années et se retrouvant coincée en France durant les quelques jours précédant le départ de Moubarak.
Par la suite, Shahinaz nous fait voyager dans son passé, sa vie, ses expériences, ses aventures depuis le jour de sa naissance 1978 en Alexandrie jusqu'à son retour en Égypte suite au départ du dictateur. Fille d'un amiral dans la marine, elle a grandi dans la vénération de Moubarak. Faire des études au Collège de la Mère de Dieu, lui a ouvert les yeux. Ses années estudiantines, son expérience avec le mouvement "Kefaya" ont forgé sa vie de militante très active et engagée.
Des passages plus saisissants les uns que les autres révélant la personnalité révoltée de la blogueuse qui a continué à lutter contre la dictature malgré les menaces et les arrestations. Cette révolte est particulièrement manifeste dans le chapitre intitulé Lettre à l'imam. Shahinaz ne ratait jamais les prêches de l'imam de la mosquée de son quartier. Elle les suivait du balcon de l'appartement parental. Un Imam dont le sujet préféré était la Femme. Appelsà la polygamie et incitation à la violence envers les femmes ont fait réfléchir Shahinaz, l'ont révoltée. L'une des prêches la marqua à vie:
" L'un de mes pires souvenir, c'est une prêche du mois de rajab, le mois qui précède le ramadan, l'année de mes quatorze ans.Ce vendredi-là, l'imam consacre son sermon au jour du Jugement dernier et raconte avec délectation la vision qu'aurait eue le prophète Mahomet d'un enfer peuplé de femmes pendues par la langue parce qu'elles ont dit du mal de leur mari, par les cheveux parce qu'elles n'ont pas porté le voile, et par les seins parce qu'elles ne se sont pas habillées décemment et n'ont pas obéi à leur mari...
-Le jour du Jugement dernier, conclut-il, la plupart des femmes iront en enfer. "
Terrorisée par ces propos Shahinaz essaya de trouver une solution et finit par décider d'écrire une lettre à l'imam elle ne saura jamais s'il l'avait reçue ou pas:
"J'ai écouté votre sermon vendredi dernier quand vous avez parlé de femmes.
J'ai eu très peur en vous entendant dire que je vais aller en enfer par ce que je suis une femme. J'ai pleuré en entendant la description que vous avez faite du Jour du Jugement dernier. Pourquoi devrais-je être punie parce que je suis née femme?
Je crois en Allah, je crois qu'Allah est juste, je crois qu'Allah n'a pas créé les femmes pour dire ensuite qu'elles sont la cause de tous les malheurs et de toutes les fitna (provocations) des musulmans, qu'elles vont aller en enfer et, que dans la vie, il faut les battre.
est ce que vous connaissez ce hadith, monsieur? Quand le prophète a dit que les femmes sont comme du verre qu'il faut traiter avec délicatesse pour ne pas le casser ?
Monsieur, soyez doux avec les femmes comme le prophète l'a dit et fait.
Je sais que je suis un etre humain créé par Allah, je sais que je n'ai rien fait de mal et que je n'irai pas en enfer simplement parce que je suis une femme. "
Des réflexions rationnelles et logiques d'une jeune fille de quatorze ans face aux délires des pseudos hommes religieux dont le rôle principal c'est de terroriser les gens, les manipuler et les endoctriner en aiguisant leur peur et terreur et en instrumentalisant la religion. Une réaction très osée venant d'une fille qui a grandi dans une famille conservatrice et loyale au régime.
Les réactions de révolte de Shahinaz se multiplient. Elle va très loin dans son entêtement face à une société rongée par l'ignorance, la pauvreté et l'injustice. Elle "ose" demander le divorce à un mari qu'elle a épousé dans le cadre d'un mariage arrangé pour obéir à ses parents issus de cette société malade. Elle part vivre seule au Caire et fait face aux différents problèmes que peut rencontrer une femme célibataire au sein d'une société patriarche et machiste. Elle continue à participer dans différentes manifestations organisées par différents mouvements de résistances malgré les arrestations et les menaces.
Shahinaz nous raconte tout. Elle nous fait voyager dans les rues encombrées de l’Égypte ou harcèlement sexuel est une pratique courante, voire normale; dans la foire du livre ou elle a participé pour la première fois à une manifestation du mouvement "Kefaya":
"Je navigue sans but précis entre les stands.Il y' a quelques manuels scolaires, mais surtout une écrasante majorité de livres religieux:Coran sous toutes ses formes, recueils de fatwas ou précis de salafisme. Même ici, sous les yeux des autorités, l'islam radical gagne du terrain..."
Oh comme cela me rappelle les dernières éditions de la foire du livre de Tunis et les étalages de la rue "Dabbaghine" de Tunis ou les livres jaunes des charlatans ont pris la place des livres d'art, de science, de littérature sur les étalages des vendeurs des vieux livres.
Shahinaz nous fait vivre les manifestations dans les universités et la violence des forces anti-émeutes qui va avec. Elle évoque la censure, la répression , bref tout ce que fait d'un état une dictature .
Je me retrouve dans la majorité des passages du livre. Il me rappelle des souvenirs, aiguise ma douleur face aux développements qui ont suivis les dites "révolutions":
O habitant du palais d'Orouba
Nous sommes les habitants de l’Égypte en ruine
Nous détestons le racket, nous détestons les prisons
ça suffit, ça suffit, ça suffit
يا ساكن في قصر العروبة
احنا ساكنين مصر المحروبة
كرهنا الجباية كرهنا السجون
كفاية كفاية كفاية
Il est difficile, quand on ne connaît pas l’Égypte, surtout l’Égypte de cette époque, de mesurer à quel point ces paroles sont révolutionnaires.
Je dirais il est difficile pour un Tunisien qui ne s'est jamais intéressé aux douleurs de ses compatriotes, qui ne s'est jamais soucié de malheurs ds autres, et qui a toujours été égoïste et qui a toujours choisi de suivre et qui continue à suivre le troupeau bêtement de comprendre combien des mots qui paraissent simples et qui ne posent à leur émetteur aucun problème étaient révolutionnaires. Eux qui ont le culot d'insulter , de discréditer, de diffamer les militants de la première heure sans scrupule...
Sahinaz finit son livre avec un chapitre dans lequel elle parle des développements en Égypte suite au départ de Moubarak. Elle parle amèrement du sort réservé aux femmes égyptiennes qui étaient aux premiers rangs lors des contestations et qu'on essaye d'écarter de la vie politique et militante. Elle parle de l' histoire des fameux tests de virginité ... des comportements des jeunes qui se disent révolutionnaires et dont la première manœuvre a été d'écarter leurs campagnes de route pour la suite du parcours. Cependant Shahinaz reste optimiste:
Mais pour ma génération, une chose est sure: plus rien ne sera jamais comme avant. O ne peut pas revenir en arrière.