Mesdames, Messieurs
Permettez-moi tout
d’abord de préciser que ma formation n’est pas faite pour que je puisse parler aisément
de thèmes comme l’habitat, le logement ou l’aménagement du territoire et la
planification urbaine.
C’est d’ailleurs pour
cela que j’ai beaucoup hésité à donner mon accord pour participer à votre
évènement. Mais que puis-je faire, sinon répondre positivement, quand les
organisateurs si gentils insistent pour que je participe et devant l’attrait et
le charme qu’exerce sur moi votre pays depuis que je l’ai connu.
N’étant donc pas du
domaine, j’ai opté pour une intervention plutôt impressionniste d’une citoyenne
tunisienne décidée à assumer et à assurer malgré tous les vents contraires sa
citoyenneté en obligations et en devoirs.
C’est pour cela que
vous n’allez pas m’entendre vous asséner des données chiffrées, des
statistiques ou des références à des textes de loi ou de procédures.
Par contre j’aurai bien
aimé vous présenter des photos et des images pour mieux vous rapprocher de la
réalité vécue et visible. Sauf que mes autres engagements-notamment mon travail
premier comme assistante universitaire - ne m’ont laissé aucun répit
pour mettre en ordre et à jour ma photothèque idoine.
Mon père- qui m’a
beaucoup aidé dans mes constats et réflexions sur les thèmes de notre débat, du
fait qu’il a travaillé dans le domaine de la réhabilitation et la
rénovation urbaines (urban upgrading and renewal) m’a raconté les
deux anecdotes suivantes que j’ai trouvées beaucoup éloquentes et que je vous
raconte en guise d’entrée en matière :
La première
anecdote :
Un ami à mon père
mi-étudiant-mi diplômé au chômage ayant des difficultés à trouver un abri
permanent et trop pudique pour aller quêter une aide en la matière
auprès de ses amis et connaissances avait l’habitude, d’aller chaque fois il
était sans toit se poster sur les marches du Théâtre Municipal (marches
devenues mythiques avec la Révolution car devenues le point de ralliement le
plus évident de la plupart des manifestations et des
mouvements du centre ville mais connues aussi et malheureusement
pour avoir été le lieu où ont été agressés nos artistes et nos intellectuels
par une horde de nouveaux apprentis-sorciers, à l’occasion de la
célébration de la Journée Mondiale du Théâtre 2012.)
Je disais donc
que notre ami allait se poster sur les marches exhibant à côté de lui ce qu’il
appelait « ma maison » : un petit sac dans lequel il rangeait
tout ce qu’il possédait comme vêtements et lingerie, dépassant de sa poche de
poitrine sa brosse à dents, et bien en évidence entre les mains avec la
couverture orientée de façon à être facilement lisible par le passants : le
livre de Friedrich ENGELS : « La question du Logement ».
Et notre ami aussi
patient qu’un pêcheur-attendait…
La deuxième
anecdote :
Procédant à une enquête
en milieu rural sur la question du logement et les conditions de
vie, étant voulue comme préliminaire pour un programme d’aide, mon
père a été surpris par un monsieur d’un certain âge, qui
refusa de répondre à ses questions et de lui permettre de remplir
ainsi la fiche préalablement préparée pour la cause, et qui lui réclama, au
contraire, en insistant auprès de lui pour qu’il transmette ses revendications
aux « plus hautes instances », voire au « Combattant
Suprême » lui –même ( on était au début des années 80 et
Bourguiba trônait encore), je disais donc que notre monsieur réclama
un montant d’argent assez élevé mais raisonnable quand-même, en
disant que c’était là son dû ou sa part de richesses nationales, qu’il tenait à
percevoir en liquide tout en s’engageant à ne plus rien réclamer à l’Etat, ni
pour lui , ni pour ses enfants.
Bien évidemment je n
‘ai raconté ces deux anecdotes que pour vous faire saisir mon état
d’esprit : l’état d’esprit qui a régné, qui règne toujours dans
mon pays…Esprit fait d’hégémonie de l ‘Etat, d’un pouvoir se prétendant, sans
en avoir réellement les moyens et les structures, capable de prendre en charge
tous les besoins et même la destinée de tout le peuple, et de gens qui ont fini
par s’imprégner d’une mentalité d’assistés… Mais aussi esprit fait de
revendication et de défense des droits…
Mesdames, Messieurs,
Quand les français ont
fini par accepter de rompre leur protectorat qu’ils avaient imposé à notre pays
la plupart des tunisiens se logeaient dans l’insalubrité : dans des
gourbis (petites pièces en torchi, argile et branchages) éparpillés dans les campagnes
et réunis en gourbivilles en marge des grandes cités.
Le départ des colons et
les premiers programmes de développement social des premières années de
l’indépendance ont permis aux tunisiens de voir leur conditions d’habitat
s’améliorer de façon évidente.
Mais dès les années
1970, et malgré une politique qui se voulait volontariste en la matière, la
Tunisie a commencé à vivre une crise en matière de logement. Crise qui s’est
traduite surtout par l’apparition de quartiers d’habitat dit anarchique ou
spontané ou –bizarrement- populaire dont la caractéristique essentielle était
l’absence des infrastructures et équipements de base.
Dés les premières
années 1980 l’état s’est lourdement engagé en matière de réhabilitation
(Upgrading) de cet habitat et aussi-mais beaucoup moins-en matière de
rénovation des centres villes anciens
qui ont vu leur situation se dégrader avec le temps et le chargement de
populations.
Par le recours à des
programmes tant officiels et faisant partie du budget de l’Etat que
para-officiels et dits « présidentiels » et de solidarité, mais –soit-il
dit- tous fortement encouragés par les bailleurs de fonds et notamment par la Banque Mondiale ainsi que
par les instances internationales spécialisées comme l’UNCHS dit « Habitat »,
il a été annoncé que notre pays ne comptera plus à l’orée du nouveau millénaire
de logements insalubres ou de quartiers démunis et que notre souci-en matière
d’habitat-sera désormais d’améliorer et d’embellir le cadre de vie.
Je crois que nous y
avons tous cru. En tout cas la plupart d’entre nous y ont cru.
Car les statistiques
étaient là : rigoureuses, sûres d’elles-mêmes et claires comme l’eau de
roche.
Vous prenez les données
relatives à la population-nombre de ménages et nombre de personnes par
ménages-vous prenez ensuite le parc logement existant… Vous divisez le deuxième
sur les premiers et vous…. trouvez que nous avons plus de logements que de
ménages. Vous prenez ensuite les conditions et modes d’habitat (facilités
disponibles, nombre de pièces, matériaux de construction utilisés, et aussi
statut d’occupation) et vous vous rendez-compte que nous bénéficions de
densités d’occupation respectables par logement et par pièce de logement, que
presque tout le monde dispose de l’électricité et que l’eau courante est
généralisée sur tout le milieu urbain et assez bien fournie à presque la moitié
des ruraux… et vous découvrez que la Tunisie est championne à l’échelle du
monde entier pour ce qui est du taux de propriété des logements…
Vous lisez les
documents officiels- ceux du gouvernement et des quelques associations plus ou
moins affidées au pouvoir mais aussi ceux des instances internationales et vous
vous sentez fier, détendue et tout sourires parce que vous réalisez que vous
êtes dans le « pays de la joie permanente », le pays qui a investi
dans l’homme et son bonheur, et que tout va bien.
Je ne vous cacherai pas
qu’on a été même jusqu’à voir un pays ami
de la Tunisie et voisin à vous –se désengager en matière d’aide et de
coopération dans le domaine de l’habitat faute de… « besoins » et
pour cause d’accomplissement total des objectifs.
En 2005 ou 2006
l’annonce des résultats du recensement population / logements a été deférée à
plusieurs reprises parce que-nous a-
t-on à l’époque
signifié le taux des logements rudimentaires ou insalubres dans le parc
immobilier devaient être vérifiés encore et encore. Du fait qu’il était encore
supérieur au taux décidé par son « Excellence le Président »
c'est-à-dire un taux nul et au taux indiqué par les réalisations en la matière.
Il me semble, qu’ont
avait à l’époque et pour des raisons évidentes oublié que la « vie est
toujours en marche » et qu’alors qu’on remplaçait des logements
rudimentaires existants d’autres du même genre
faisaient bien évidement apparition.
Mais il ya aussi
d’autres explications à cela.
Je vous en exposerai
certaines.
Les besoins dits à caractères social étant soit- disant pris
en charge par les pouvoirs publics, l’Etat ou ceux qui présidaient à se
destinée, se sont fait un grand plaisir
en démolissant peu à peu les institutions et établissements publics, en
ouvrant le secteur à des privés n’ayant ni les qualités requises pour un
investisseur ni la compétence et dont le seul souci était de s’enrichir le plus
possible et rapidement. En moins d’une quinquennat
le nombre de promoteurs immobiliers privés est passé de quelques unités à près
de 1500.
Et on découvrira plus
tard qu’il ne s’agit de fait que de quelques dizaines d’individus disposant de
plusieurs sociétés chacun. Pour des raisons de détournement de fonds, de fraude
fiscale et d’accès injustifié aux financements bancaires et aux incitations de
l’Etat.
L’Etat s’est aussi
désengagé pour ce qui est « maîtrise foncière ». Avant les prix des
terrains étaient plus ou moins régulés
par l’octroi, à des prix modiques ou même symboliques, de terrains domaniaux au
projets d’habitat social ou économique,
par les mécanismes d’échange ou même d’expropriation, par la fiscalité et par
l’intervention d’établissement publics dans le financement, le lotissement, et
la construction… les prix du foncier ont donc flambés… Multipliés par 2, puis
par 10 puis par 100 et plus … La qualité du bâti, c’est indiscutable s’est
beaucoup améliorée. Mais les prix sont devenus inabordables pour la majorité
des familles . Surtout celles faisant partie des classes moyennes.
L’Anarchie qui était la
particularité des quartiers dits populaires édifiés en dehors de toute
légalité, en marge des périmètres des plans d’aménagement ou sans respect des règlements
d’urbanisme, s’est petit-à-petit étendue à tout le milieu urbain.
Le népotisme, la
corruption, le musellement de la liberté d’expression, les réseaux d’influence
ont vite fait de dompter la planification spatiale et urbaine. Il suffisait que
vous soyez en mesure de payer , que vous soyez bien introduit de
« relations » , importantes soit en contact direct avec le
« Patron » lui-même, soit du
moins avec la « Famille régnante pour que vous puissiez construire à votre
guise.
D’un coup de stylo
magique, la vocation d’utilisation change : l’inconstructible devient
résidentiel, … les règlements relatifs à l’occupation du sol et aux niveaux ou
à la surface constructibles est multipliée… les immeubles bien situés quoique
revêtant un caractère patrimonial évident, sont démolis pour faire place nette à
des immeubles dont le seul objectif est le gain rapide et démesuré et qui
nuisent souvent en paysage urbain.
Tant de nos quartiers
de villes, tant de nos villages plus charmants les uns que les autres malgré
leur différences, ont-ils été ainsi défigurés ou balafrés pour toujours.
Puis la révolution
vint…
Tout d’abord certaines régions de l’intérieur du pays
grondèrent… Puis les quartiers périphériques du Grands-Tunis et de Sfax et
d’autres villes laisseront libre cours à leurs colère, et des jeunes et moins
jeunes de toutes les classes et de tous les lieux se rallièrent au mouvement…
Le Roi s’est précipité vers son avion et soudain non pas le Roi mais la réalité
de notre pays s’est révélée à nous dans la clarté : nue, honteuse et
difficile à gérer.
Pour ce qui est de notre thème d’aujourd’hui, cela
peut être rapidement brossé ainsi :
-
des quartiers
populaires, des villages, villes et même des régions entières étaient-contrairement
à ce qu’on nous a fait admettre-abandonnés à leur triste sort : ni
programmes de développement, ni efforts d’encadrement social, fonds et aides
détournés –un schéma d’aménagement du territoire injuste favorisant encore plus
les régions développées et maintenant les régions et
zones défavorisées dans le rôle de pourvoyeur en matières premières et en
main-d’œuvre non qualifiée ;
- des biens publics naturels, fonciers et
financiers et autres détournés, spoliés et surexploités, alors qu’on nous
servait à longueur de journées des discours flamboyants sur le respect de l’environnement
et la durabilité du développement ;
- des familles sens ressources, entassées dans un
habitat souvent mal desservi en équipements et un chômage endémique touchant
des centaines de milliers de jeunes gens dont plus du tiers de diplômés n’ayant pu terminer leur études
que grâce aux lourds sacrifices de leur familles qui en faisaient un
investissement pour l’avenir ;
- des projets et programmes qui n’étaient que des
coquilles vides ont des paravents. Et des structures, institutions et
organismes dont les communes, entièrement dominés, domptés et consacrés au
quadrillage de la population et pour servir des intérêts douteux…
La révolution éclata… la réalité se révéla à
nous. Et nous, tunisiens, on s’est rendu soudain compte que nous ne nous
connaissions mutuellement point.
Et la aussi un autre mur, un autre rempart
croula.
Maintenant nous nous connaissons mieux, nous
nous intéressons beaucoup plus les uns aux autres, chacun parmi nous se voit
fier de l’autre, découvre, comme un enfant ….. d’autres gens, d’autres
territoires Et mesure combien nous avons tous été floués….
Maintenant nous ne
reconnaissons plus les structures et institutions de l’Etat qui nous ont
trompés. Nous avons évincé les conseils municipaux qui ne nous représentaient
pas du tout et nous ignorons les conseils provisoires qui les ont remplacés en
dehors de toute participation dans leur choix de notre part. Maintenant nous
osons vérifier, contrôler, croiser les données, enquêter, interroger, créer des
associations, se donner pour l’intérêt général, refuser tout diktat et toute
oligarchie…Maintenant nous avons suffisamment de courage pour nous remettre en
question et pour mettre en doute nos gouvernants.
La révolution éclata, s’est
plutôt mise en branle et est entrain de perdurer malgré ses reflux et la
pugnacité de ceux qui nous ont ravi le pouvoir.
En matière de maîtrise
spatiale cela s’est traduit par la reconquête- bon gré malgré- des espaces
publics : des places, placettes, avenues, centres-villes, par
l’investissement de lieux qui sont les nôtres à tous mais dont nous étions
privés, par l’appropriation des murs par nos peintres, tagueurs et jeunes en
mal d’expression. Et cela est prometteur pour nos lendemains. A condition que l’on
puisse résister à ces nouveaux apprentis-sorciers qui voudraient nous renvoyer
à des temps d’obscurantisme et de négation de l’intelligence humaine.
Sur le
plan urbain, tout le monde en profite. De façon scandaleuse et irrécupérable –
Tout le monde construit. En dehors de toute légalité. Sans aucun respect pour
la réglementation urbaine et de construction.
Cela se fait par des gens qui
ont un besoin impératif pour se loger,
ils le font de façon anarchique, et sans considération ni pour la nature et la vocation
des terrains, ni pour les dangers
encourus pour ce qui est des inondations par exemple. Leur constructions
sont faites à la va-vite, elles sont souvent laides et taciturnes.
Mais comme il s’agit de gens
qui essaient de parer au plus urgent, de gens
démunis, de gens qui réagissent à des décennies entières de privations,
je ne peux que leur trouver des excuses, des alibis et souhaiter que notre pays
aura dans l’avenir l’intelligence, la possibilité et les moyens d’améliorer ce
qui doit être amélioré.
Toutefois ces gens ne sont
pas seuls à profiter de la déliquescence de l’appareil de l’état, de
l’incompétence de ceux qui nous gouvernent et du relâchement de nos structures
de contrôle.
Au contraire….
D’autres profitent de la
situation, pour lotir là ou on ne peut lotir. Pour faire une extension qui ne
devrait pas se faire. Au dépens du jardin, des spécificités architecturales, du
confort visuel ou thermique du voisin, d’un espace public (un espace vert, un trottoir
ou même la voirie...)
Des enragés sortant de nulle
part et prônant le retour à des sources qui ne sont certainement pas perçues de
la même façon par tout le monde, sont allés jusqu’à investir des lieux de culte
pour s’y installer avec femmes et enfants et pour les transformer en lieux
d’embrigadement, d’entrainement et de propagande. Certains parmi eux ont été
jusqu’à démolir, maltraiter ou défigurer
des monuments historiques pour la simple raison qu’ils leur ont semblés
ne pas correspondre aux normes, leurs
normes. A eux .
C’est là le tableau que j’ai
pu rapidement brosser à partir de mes constats visuels rendus possibles du fait
de mes pérégrinations incessantes à travers mon pays, de mes lectures et de mes
discussions avec PAPA qui m’a toujours incité à m’intéresser à tout.
J’espère que chacun d’entre
vous à pu y trouver quelque chose qui réponde à sa curiosité ou à ses centres
d’intérêt.
Et pour terminer
permettez-moi de revenir à mes deux anecdotes. Pour dire que la « question
du logement » est encore cruciale dans mon pays, et que ce ne sont pas les
30 000 unités dont la construction en deux ans a été programmée par le
gouvernement provisoire qui vont y apporter la réponse adéquate.
Surtout qu’un lever de
boucliers a été entamé par nos architectes, bureaux d’études et ingénieurs
dénonçant les procédures d’octroi du marché entachées pour le moins de manque
de transparence, mais aussi les matériaux et les méthodes retenus pour la construction.
Alors ne voudrait-il pas
mieux procéder, comme l’a demandé le monsieur de la deuxième anecdote : en
distribuant plutôt l’enveloppe
financière réservée à ce programme aux
bénéficiaires potentiels pour qu’ils
procèdent à l’édification de leurs logements. EN AUTOCONSTRUCTION
Merci
pour votre patience.