Le weekend dernier je devais participer au Congrès anniversai re des Mères pour la Paix "Les femmes déclarent la paix !" mais malheureusement je n'ai pas pu faire le déplacement a Paris.Cependant je tiens a partager avec vous le discours que j'ai préparé pour cet évènement :
Mesdames, Messieurs, Bonjour! Je n’en ai pas l’habitude mais
cette fois-ci je ne sais pas trop pourquoi -moi Lina Ben Mhenni assez souvent
qualifiée par certains de mes concitoyens
de laïque, de maçonnique, de
vendue a l’occident et condamnée a être
liquidée, parait il, parce que je serai hérétique –je tiens a commencer
mon intervention par un « hadith », soit : une citation du
Prophète Mohammad ! Cette citation affirme que : « le Paradis
est sous les pieds des mères ! ». Je ne sais pas ce que vous, vous
pensez, mais moi, de ma part, j’y crois. J’y crois même dur comme fer : ce
sont bien les mères, et donc les femmes, qui détiennent les clefs du
paradis !
Non ce n’est pas du tout dans mes intentions de m’étaler sur
ce sujet précis. Je ne l’ai au contraire évoqué qu’en tant qu’entrée en matière
pour mon intervention axée sur le thème : « la Révolution
tunisienne : un gain/changement pour la femme tunisienne ? »,
thème déclaré ici sur le mode
interrogatif bien évidemment !
Mais pour pouvoir aboutir a une esquisse de réponse, il me
faudrait tout d’abord, brosser- ne serait-ce que de façon rapide –un rappel de
la situation de la femme dans la
société tunisienne d’avant le 14 Janvier
2O11.
On affirmait a toute occasion que le statut de la femme
tunisienne était le plus avancé dans tous les pays arabes et musulmans. Le Code
du Statut Personnel promulgué dés
1957, a instauré le mariage civil,
interdit la répudiation et la polygamie,
imposé un âge minimum au mariage et donné une
certaine latitude a la femme pour participer a la gestion
des affaires de la famille.
Dans la vie professionnelle la femme tunisienne s’est imposée aux premiers rangs et est
devenue majoritaire dans plusieurs
métiers dont surtout le paramédical,
l’enseignement et même certaines
activités de l’administration. Le
nombre de femmes médecins, ingénieurs, chefs d’entreprises ou même pilotes
d’avion allait croissant. Certaines sections d’études universitaires voyaient
les jeunes filles dépasser les garçons en nombre et en… résultat !
Dans la rue les femmes étaient aussi présentes que les
hommes. Avec toutefois cette différence que les hommes passaient beaucoup plus
de temps aux cafés et bars ou a la mosquée, alors que les femmes
devaient travailler doublement c’est a dire
en dehors de la maison et
dedans ! L’âge relativement élevé
du mariage (plus de 31 ans en moyenne), l’amélioration relative des
conditions de vie et notamment
l’accès a la voiture privée (grâce a un
système de financement particulier et a une voiture dite « populaire » assez adorable
par crédit) ont donné aux femmes une certaine liberté, je dirai même une
liberté certaine, pour ce qui est de leur vie privée.
Certaines études spécialisées et des sondages effectués de
temps a autres affirmeraient que les
tunisiennes étaient en bonne position
pour réaliser leur liberté sexuelle.
Cela ne masquait pas toutefois que la grande majorité des
emplois a faibles salaires, ceux faisant partie notamment de l’agriculture et
des activités manufacturières étaient occupés par des femmes , que les filles
étaient relativement plus nombreuses que le garçons parmi les chômeurs diplômés, et que l’abandon scolaire était
plus fréquent parmi les filles dans les campagnes et dans les cités populaires
.
Et pour revenir au coté lumineux du tableau j’y ajouterai
que des femmes- essentiellement celles
rassemblées au sein de l’Association
Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) – qui étaient parmi les
organisations de la société civile les plus harcelées par le Pouvoir- avaient même
évoqué des questions plus pointues, j’allais dire, comme l’égalité en
matière d’héritage, la violence conjugale et l’abrogation sans réserve de la
convention internationale dite CEDAW. Ces femmes et d’autres allaient même jusqu'à débattre de la nécessaire évolution
que devait connaître la présence des femmes dans les instances de
l’administration du pays !
Puis advint le 14 Janvier 2O11. La lune était a nous. Tout
le ciel était a nous .C’est la au moins ce qui nous a semblé être le cas pendant ce jour la et les quelques petites
semaines qui suivirent ! Beaucoup de femmes-de jeunes femmes surtout mais aussi des moins jeunes –étaient
de la partie. Et aux premiers rangs. Tout d’abord lors des émeutes du bassin
minier en 2OO8 -2OO9
et 2O1O, et parmi les étudiants syndicalistes. Ensuite parmi les cyber
activistes (comme on aime nous qualifier en occident) et parmi les
contestataires de décembre 2O1O.D’ailleurs et ces jours, il me revient a
l’esprit l’image de cette jeune dame qui s’est pendue par les bars a une
fenêtre de la centrale syndicale et qui,
en cette position, harangué la foule et
l’électrisa. Me revient aussi a la
mémoire l’image de cette « travailleuse du sexe » que j ‘ai
déjà évoquée dans mon opuscule accourue de son bordel public pour protester
contre la répression.
Le 14 Janvier, l’Avenue principale de Tunis n’était pas
comme on dit « noire de monde », mais plutôt colorée, bigarrée et
plutôt féminine ! Les jours d’après les blogueurs ont organisé le premier
sit-in de l’après 14 Janvier, a la mémoire des martyrs. Sit-in de
recueillement fait de silence et de
bougies. Sit-in qui a prouvé que l’essentiel
de la société (j’utilise ce terme
pour rigoler bien sur puisque la plupart des blogueurs n'étaient affiliés qu’a la … toile) Et cela
est un aspect des choses qui n ‘a pas encore
été suffisamment développé a mon
avis) je disais que le sit-in a prouvé
qu’une partie essentielle des bloggeurs
étaient en fait des bloggeuses.
Mais laissez moi dire aussi que ce soir-la les candides que nous étions, avons découvert
que notre chemin vers l’avenir radieux n’était point … sans embuches.
En effet, ce soir la nous avons eu notre part d’agressions
verbales de la part d’inconnus en civil » qui nous ont accusés d’hérésie
(commémorer les martyrs et allumer des bougies étaient illicite de leur point
de vue religieux !) et nous ont intimé l’ordre de rentre a la maison (la
seule place vraiment faite pour les
femmes !)
Quelques semaines plus tard quand la société civile, ATFD en
tête, est sortie manifester pour l’égalité des chances, pour une Tunisie
plurielle et équitable et civique, nous
avons en toute latitude pu commencer a réaliser que le véritable combat est
encore a venir.
-« La seule place qui vous convient est a la
cuisine ! » A-t-on entendu
gueuler !
Puis vivement les élections d’octobre 2O11
Et al le ciel nous est tombé sur la tête. Les appels a la
polygamie. Les fatwas et sentences sur l’excision des filles. Le tsunami des
niqabs et des habits afghans. Les accusations si fréquentes d’apostasie. L’appel
au retour du « Califat », de la suprématie du religieux et a
l’application de la Charia et j’en passe
C’était a en perdre
ses repères. Mais même en ayant
titubé quelque peu, et quoique la société politique soi-disant moderniste
ayant plutôt choisi de tergiverser, nous avons pu ne pas mettre trop de temps
pour nous ressaisir. Il faudrait peut-être dire
qu’Ils (je veux dire les obscurantistes, les nouveaux despotes se voilant derrière une lecture préhistorique
de la religion) nous ont vraiment aidés.
En allant trop loin dans leur arrogance, je veux dire. Refus de reconnaître de façon
claire et sans détours la primauté des conventions internationales notamment
celles portant sur la garantie des droits humains. Appel a la
complémentarité et non pas a l’égalité
entre les deux sexes. Rôle inférieur de
la femme au sein du ménage. Rejet du caractère moderne et civique de l’état …
Et ce ne sont la que des exemples !
La société civile active, les associations mais aussi beaucoup de gens
« ordinaires » (passez-moi l’expression) se sont mobilisés. Ils se
sont mobilisés pour une société moderne, un état civique, le respect des
libertés collectives ainsi que les libertés individuelles dont la liberté de
conscience. Et contre la barbarie et la violence !
Et quand les forces de l’obscurantisme sont allées jusqu'à
l’assassinat, le sang versé des martyrs (Chokri Belaid et Mohamed Brahmi
notamment) a vite fait de souder les gens ! Et si vous regardez les images et vidéos de l’inhumation des martyrs vous allez vous rendre compte de façon sure et automatique, allais je dire !-que
les femmes étaient la y compris a l ‘intérieur
du cimetière et près des tombeaux. Chose qui a été d’ailleurs
dénoncée a cor et a cri par
certains fondamentalistes ! Puis , les associations , les activistes des
droits humains ainsi que toutes les forces vives du pays ont organisé le sit-in
du Bardo, ont réussi a bloquer le
travail de l’Assemblée Constituante et a faire admettre l’adoption d’une ligne
de rédaction de la Constitution qui ne soit
pas , du moins pas de façon évidente, contraire aux libertés fondamentales.
Puis nous avons vécu, a l’occasion de la célébration de la
Journée Nationale de la Femme, le 13 aout 2O13, ce déferlement coloré et bon
–enfant malgré la tristesse. En effet, quelques dizaines de milliers, sinon
plus , ont chanté scandé des slogans et marché longuement pour le libertés et pour l’égalité entre citoyens
indépendamment de leur sexe, de leur couleur et de leur croyances.
Le message était clair. La symbolique de l’événement était
évidente. Et la mobilisation était forte !
Actuellement, nous vivons comme un temps mort. Chacun scrute
l’avenir. Les uns désespèrent. D’autres sont confiants. Mais la majeure partie
est prête a se battre et est convaincue
qu’elle n’a que le choix de se battre.
Il est vrai que la marée est encore dans la phase du reflux,
mais les signes d’une nouvelle avancée
sont bien la.
Et puisque l’objet de mon intervention porte essentiellement
sur l’impact de la révolution sur la femme tunisienne je vais me limiter a
quelques constats sur le sujet : Les tunisiennes ont beaucoup appris-me semble t-il de la
Révolution, et des quatre dernières
années. Elles ont appris que les droits et les libertés ne s’octroient pas mais
s’arrachent. Elles ont gouté aux joies
de la lutte et de la contestation. Elles ont, elles aussi, surmonté leur
peur et fricoté avec le gaz lacrymogène et les matraques. Il y a même eu des martyrs parmi elles. Après des
décennies ou la plupart d’entre nous n’étions qu’un troupeau docile, nous avons
appris nous tunisiens ne général et nous les tunisiennes en particulier, que
notre pays est a nous tous, que si nous voulons accéder au statut d’humains et
de citoyens a part entière nous devons le mériter qu’aucun acquis n’est fait
pour durer si l’on fait rien pour le
consolider. Après nous être accommodés avec le silence pour près un demi siècle nous avons retrouvé notre voix, nous avons reconquis notre droit
a nous rassembler . Imaginez vous seulement ce que cela représente vraiment pour des gens qui sont nés, ont
grandi, sont devenus adultes et même plus qu’adultes sans avoir jamais foulé le
sol des places, placettes et avenues pour protester, contester ou revendiquer,
et qui de nos jours, trouvent le souffle pour continuer a lutter des années
durant ?!
Nous femmes, nous avons été de toutes les manifestations et marches,
de tous les sit-in. Nous femmes nous sommes dans toutes les associations, dans
tous les partis. Nous descendons dans la rue, seules, et en compagnie de nos
hommes : nos frères, nos compagnons, nos mères, nos pères, nos enfants… On
a souvent vu des familles entières marcher cote a cote malgré la violence ou
passer la nuit dans un sit-in sous la pluie et malgré le vent. Nous femmes
nous avons appris que nous pouvons égaler nos hommes-pour ne pas dire les
surpasser en témérité, en initiative et en courage. Nous avons appris a
débattre, a négocier et a nous imposer
même, a la maison, au boulot, dans la
société civile et face aux forces de la répression. Et c’est la que changement il y’a eu, et que gain s’est
produit ! On a même vu un certain
été, des femmes de Mahdia et d’ailleurs aller chercher leurs conjoints sur les
terrasses des cafés pour les amener aux
manifestations.
Tout en comptant sur
votre compréhension et en espérant que vous
vouliez bien m’excuser d’avoir été si longue , je voudrai terminer en
paraphrasant la citation par laquelle j’ai commencé pour dire : « La
Révolution tunisienne est maintenant sous les pieds des mères, pardon des
femmes ! «
La Révolution tunisienne sera féminine ou ne … s’accomplira
pas !
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