Je publie ici un témoignage d'une lectrice qui désire se présenter sous le nom de Aida :
Au début, c’est une histoire banale qui se déroule dans la banlieue sud de Tunis : un couple de locataires qui cesse de payer son loyer et le propriétaire qui porte plainte. Sauf que cette histoire révèle l’influence grandissante et l’infiltration des fondamentalistes musulmans dans nombre de rouages de l’état (police, garde nationale, administration…) ainsi que dans la vie quotidienne des quartiers populaires. Cette histoire, qui est arrivée à mon père entre le 3 et le 14 avril 2014, en est une parfaite illustration.
Je ne veux pas parler de mon père en tant que « mon père » mais en tant que citoyen tunisien, fier de son pays et plein d’espoir après la révolution du 14 janvier 2011. Un citoyen tunisien auquel on a toujours reproché d’être aussi un citoyen français, et à qui on reproche aujourd’hui d’être un musulman laïc, c’est-à-dire un citoyen qui considère l’Islam comme un héritage culturel et spirituel, un citoyen qui prêche la tolérance, la liberté du culte et la société civile.
Nous avons eu la chance, mon frère, ma sœur et moi d’être nés en France et d’y avoir grandi ce qui nous a permis, ainsi qu’à mon père, d’acquérir une petite maison que nous utilisons pendant les vacances d’été ou pour nos amis de passage. Nous louons l’étage les neuf autres mois de l’année et mon père se réserve l’appartement du rez-de-chaussée qu’il occupe lors de brefs séjours.
A la fin du mois de septembre 2013, un couple de jeunes Tunisiens s’est présenté pour louer l’appartement. Ce couple présentait tous les signes ostentatoires des musulmans fondamentalistes. Le mari a, entre autres, une longue barbe et la femme porte une sorte de niqab. Pour mon père, cela ne devait pas faire l’objet d’une discrimination : que chacun vive comme il l’entend et laisse les autres vivre aussi à leur façon, dans un respect mutuel. Pour cette raison il n’a pas hésité à leur louer l’appartement.
Cependant, à chacun de ses courts séjours en Tunisie, le couple s’est montré très pressant pour le convertir à sa vision de l’Islam et a tenté de s’immiscer dans sa vie privée. Devant le silence serein de mon père, le couple a commencé à répandre dans le quartier de fausses rumeurs en vue de nuire à sa réputation – il a épousé une femme française qui ne s’est jamais convertie à l’Islam et qui vit en France parce qu’elle est raciste, ses filles qui habitent en France ne parlent pas l’arabe, ne pratiquent pas l’Islam et ont des amis infidèles… Le couple reproche également à mon père de ne pas faire la prière et de décliner chaque invitation du mari à aller à la prière du vendredi à la mosquée.
Mon père ne se laisse pas impressionner. Il reste calme et courtois. Le couple se montre alors plus agressif, etlors de son dernier séjour en Tunisie, du 25 au 31 mars 2014, mon père constate que plusieurs mois de loyer n’ont pas été payés, que les serrures du portail ont été arrachées et beaucoup de plantes du jardin vandalisées. Durant ce séjour, des ordures sont jetés dans le jardin, et le mari menace de provoquer un incendie « accidentel » de la maison. Mon père se plaint de cet harcèlement et de ces menaces à la garde nationale mais il se heurte au refus des agents de noter ses griefs dans le registre des plaintes.
Il décide alors de porter plainte auprès du Procureur de la République pour déloger les locataires. Mais le couple fait jouer son réseau de fondamentalistes religieux pour poursuivre leurs intimidations et surtout détourner certains agents des forces de l’ordre de leur devoir de neutralité et d’impartialité.
Respectant les procédures judiciaires, mon père adresse un courrier au Procureur de la République et il obtient une audience avec lui au début du mois d’avril. À la suite de cette audience, le procureur ordonne une enquête. Dès le lendemain, le 9 avril – jour férié – le couple fondamentaliste, informés on ne sait trop comment, réplique en demandant main forte à son réseau familial. Ils organisent un esclandre dans la rue durant près de deux heures (ce qui en tunisien s’appelle chouha) à propos de l’« immoralité » et de la « diablerie » de mon père. Malgré les appels téléphoniques répétés de mon père aux forces de l’ordre, et le fait que le poste de la garde nationale soit à moins de 1km, les agents tardent à se déplacer (combien de temps).
Le lendemain, 10 avril, le couple fondamentaliste, accuse mon père d’avoir cambriolé leur appartement, appuyé par des témoins oculaires qui auraient vu mon père réaliser son méfait. Cette fois, c’est avec zèle et promptitude que les agents de la Garde Nationale viennent fouiller l’appartement de mon père sans présenter d’autorisation officielle. Ils n’ont évidemment rien trouvé pour inculper mon père. Mais le plus étrange c’est que les agents n’ont pas pris en compte ce qui s’était déroulé quelques nuits plus tôt…
En effet, dans la nuit du 3 au 4 avril, mon père entend des bruits dans l’appartement du dessus et aperçoit des personnes transporter des choses. Il appelle alors la Garde Nationale aux environs de minuit pour signaler ces intrus. Après plusieurs appels (il a d’abord utilisé son portable puis son fixe, on peut facilement vérifier l’exactitude de la date et des horaires de ses coups de fil par les Télécoms), un groupe d’agents finit par se déplacer, constate l’effraction et entre dans l’appartement des locataires accompagne de mon père. Puis, les agents partent parler à certains voisins que mon père peut citer au besoin. Voir des gardes nationaux vers minuit n’est pas banal et on s’en souvient !
Cependant, cette intervention ne figure pas jusqu’à présent sur les registres de la Garde Nationale. Le 11 avril mon père est convoqué à 9 heures du matin au poste de la Garde nationale, accuse d’avoir cambriolé ses locataires « bons musulmans ». Son interrogatoire dure plus de deux heures. Mais lorsqu’il renvoie aux incidents de la nuit du 3 au 4 avril, il constate que l’intervention de la Garde nationale n’a pas été enregistrée. Après une perquisition chez lui il est libéré à 12h30.
Mais trois heures plus tard, une fourgonnette de la Garde Nationale s’arrête devant chez mon père pour une nouvelle convocation : cette fois l’épouse du couple fondamentaliste porte plainte contre mon père pour harcèlement sexuel ! Elle révèle soudain, et seulement à ce moment-là, que depuis le mois de septembre (le début de la location) mon père n’a pas arrêté de lui faire la cour de façon très insistante à chacun de ses courts séjours. Pire, un soir, vers 23 h, constatant l’absence de son mari, il serait même venu solliciter des faveurs charnelles.
Maintenant, cette « histoire » n’a plus rien de banale.
Mon père ne compte pas se laisser faire et a pris un avocat. Il veut faire de ce cas un combat pour la tolérance et contre le fondamentalisme religieux. Mon père et moi témoignons de cette situation pour attirer l’attention des nouveaux responsables tunisiens de la justice et de la sécurité sur ces faits qui reflète l’influence croissante de l’intégrisme religieux dans l’administration et la société tunisiennes. Pour soutenir l’un des leurs, certains fondamentalistes se permettent de témoigner de façon mensongère et calomnieuse contre quelqu’un désigné comme infidèle. Ils menacent la Justice et l’intégrité de l’institution judiciaire. Nous témoignons pour que les nouveaux responsables tunisiens puissent intervenir dans le sens d’une justice civile. Pour leur signifier que la justice ne doit pas être perturbée par le désir de discriminer les citoyens qui n’affichent pas leur morale religieuse.
L’affaire est en cours et mon père et moi continuerons de témoigner de la suite des évènements.
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