En
Tunisie, deux ans après le soulèvement populaire qui a conduit au départ du dictateur ZABA, les procès d’opinion se multiplient...
La plupart de ces procès sont
intentés sous le grand titre d’atteinte à la morale religieuse ou atteinte
au sacré. Je citerai par exemple le procès de Ghazi Beji et Jabeur Al Majeri. En
effet, « Lundi 25 Juin 2012, la cour d'appel de
Monastir a confirmé le jugement du tribunal de première instance de Mehdia qui
a condamné Jabeur Al Mejri, jeune internaute, à un emprisonnement de 7 ans et
demi. Ce même jugement a été prononcé par défaut à l'encontre de Ghazi Béji
qui, lui, a été contraint de quitter le pays, demandant l'asile politique à
l’étranger, suite à l'accusation de ces deux jeunes internautes d'avoir causé
de sérieux préjudices moraux par la publication de photos et d'écrits sur leurs
pages Facebook. »*
J’ai eu la possibilité d’interviewer Ghazi
Beji via Facebook et voici l’échange qui a eu lieu entre nous :
1) Et si vous commenciez par vous présenter aux lecteurs
d'Opinion Internationale?
Ghazi Beji ,28 ans, titulaire
d’une licence en agroalimentaire et
biotechnologie. Je suis Tunisien originaire de la ville de Mahdia. Je suis
l’auteur du livre : L’illusion de l’Islam.
2)
Avec votre ami Jabeur Mejri vous avez écopé fin Mars 2012 de 7 ans et demi de
prison, peine confirmée au mois de juin suivant par la cour d'appel de
Monastir pour atteinte à la morale religieuse, diffamation, et trouble à
l'ordre publique. Pouvez-vous revenir sur cette mésaventure?
Après la révolution, j'ai écrit un
livre qui s'appelle l'illusion de l'islam et mon ami Jabeur Mejri a écrit un
livre en Anglais qui s'appelle Dark land, ou l' ont a critiqué le fascisme religieux en Tunisie et l'exclusion de l'autre au nom de l'islam. Nous avons été
condamnées à 7ans et demi de prison et une amende de 1200 dinars tunisiens.
Jabeur a été arrêté le 5 mars 2012.
Quant à moi, j’ai réussi à m’enfuir et à quitter mon pays le 8 mars 2012. J’ai
fait un parcours hallucinant : Lybie, Algérie – Turquie puis je suis parti
de la Turquie en Grèce à la nage. Par la suite, j’ai dû partir en Macédoine, puis
en Serbie et enfin en Roumanie ouj’ai
eu la protection subsidiaire. Malheureusement, j’ai été ciblé et agressé par
des islamistes extrémistes alors j’ai continué
à me déplacer d’un pays à un
autre : Hongrie-Autriche-Suisse- France.
3)
Comment voyez-vous ce verdict et le
procès en général ?
C’est une attaque à ma liberté d'expression parce que
les religieux ne croient pas à la démocratie. Leur but dans la vie c’est de
détruire la vie des êtres humains. Ils ne peuvent pas digérer le fait que quelqu'un soit heureux, ils veulent que tout le monde vive dans la merde (lol)
4)
Vous avez réussi à vous enfuir et à quitter la Tunisie. Cependant nous avons
entendu parler du fait que vous aviez eu à affronter beaucoup de difficultés et
de problèmes. Pouvez-vous nous en parler?
J'ai rencontré plusieurs contraintes en
Lybie avec les groupes djihadistes, en Algérie j'ai passé 15 jours dans la peur
du régime dictateur, en Grèce j’ai dû résister
face à l’extrême droite qui pourchassait
les étrangers dans les rues d’Athènes et à la police hyper raciste, avec ses
lois pourries. En Macédoine, j’ai été en prison et j’ai eu des problèmes avec
des policiers voleurs. En Serbie, je n’avais pas eu beaucoup plus de chance et j’ai été
sauvagement torturé dans les prisons du nord te du sud. En Roumanie, j’ai découvert que le racisme n
‘a pas été éradiqué et je me suis retrouvé dans un camp de réfugiés avec des
terroristes qui m’ont agressé. Maintenant, je me déplace dans différents pays
de l’Europe de l’Ouest mais toujours sans papiers.
5)
Quelle est votre situation actuelle ? Avez-vous réussi à refaire votre vie?
J’ai partiellement réussi à régler mon
statut mais le plus grand reste à faire.
6)
Votre ami Jabeur Majeri croupit dans une cellule en Tunisie. Pouvez-vous nous
parler de sa situation et des conditions de sa détention?
Jabeur est incarcéré à la prison de
la Mahdia. Sa situation est très délicate. En effet, il est torturé par les
gardiens de la prison et par les autres prisonniers qui l’accusent d’être un
mécréant. Les conditions de sa détention
sont horribles : il a attrapé la gale et il n’arrive plus à marcher. De
plus, on l’oblige à faire les prières dans l’infirmerie de la prison.
7)
Avez-vous trouvé un soutien de la société civile tunisienne? Comment la société
civile pourrait elle vous aider et comment pourrait elle agir pour sauver
Jabeur?
J'ai trouvé du soutien de la société
civile tunisienne en France. Cependant, j’ai été ignoré de la part de la Ligue
Tunisienne des Droits de l’Homme. Les Tunisiens- le peuple tunisien- m’ont
condamné. J’ai été dénigré et j’ai eu droit à plusieurs campagnes de
diffamation ainsi que des menaces sur les réseaux sociaux.
8)
Comment voyez-vous la situation en Tunisie en ce moment ? Pensez-vous que les
libertés et les droits humains sont en danger en ce moment ?
Je pense que cette phase est une phase
essentielle et cruciale de l'histoire de
notre pays. Les Tunisiens doivent passer à travers cette phase pour comprendre le sens de la démocratie, la citoyenneté, la
séparation entre l'état et la religion.Mais je reste convaincu qu’on va s’en sortir que ce soit à travers une
guerre civile ou autre.
9)
Vous avez- annoncé la publication d'un livre. Peux- tu nous en parler?
Je n’ai pas encore publié mon nouveau livre, mais il le sera
bientôt. J’y raconte tout mon périple de
la Tunisie jusqu'à mon arrivée France, avec un regard critique envers l’Europe
et ce qu’ils appellent les droits de
l'Homme qui ne sont que mensonges et illusions.
10)
Je vous laisse le mot de la fin.
Pour la fin je veux dire au peuple tunisien que la faute n'est pas
celle d'Ennahda. Je pense que la majorité des Tunisiens sont des religieux durs
qui ont du mal à accepter la différence et à digérer la démocratie. La majorité
est faite de gens qui sont contre la liberté d’expression, la différence et contre
l'égalité homme-femme. Je tiens aussi à rappeler que le peuple qui a crié haut et fort sa soif pour la liberté et la dignité est le
même qui a voté pour les islamistes et qui ma viré du travail 3 fois quand j'étais toujours en Tunisie
et qui ma censuré avant, mais je n’ai aucune haine envers mes compatriotes parce qu'ils seront
toujours mon peuple, mes gens ...
* extrait du dossier de presse du comité de soutien de Ghazi Beji et Jabeur Al Majeri.
Lors d'une conférence organisée autour du thème: "Tunisie: les dangers qui guettent la liberté d'expression après la révolution", la section tunisienne d'Amnesty a annoncé son soutien absolu à Jabeur Al Majeri et Ghazi Beji . Une campagne pour la collecte de signatures a été déjà lancée et vous pouvez suivre les dernières évolutions sur Twitter via le hashtag #FreeJabeur.