Je rentrais de Cagliari . Heureuse des débats auxquels j'ai participé avec un groupe de jeunes intéressés par leur dimension méditerranéenne et par l'Afrique.
A l'aéroport mon père et deux amis ( dont l'un des blessés de la révolution) m'attendaient pour me conduire à Dar Essabah ... Émue de voir Sami Taheri -syndicaliste de renom et professeur universitaire- venu à la rescousse des grévistes de la faim. Émue de la détermination du personnel de Dar Essaba-toutes catégories professionnelles comprises- à défendre leurs droits, l'indépendance de leur institution et la liberté d'expression. Émue d'entendre des journalistes me demander de les soutenir encore plus...Émue jusqu'à en avoir les larmes aux yeux et la gorge nouée...
De là, on a fait un petit saut pour souhaiter les Maala pour le mariage de Taieb. Furtivement.
Sur le chemin de retour à la maison, j'étais pressée de me replonger dans l'ambiance tant "chantée" par Paul Klee d'Ezzahra et de de retrouver mes chats.
Et c'est alors que papa n'a trouvé mieux que de m’asséner un coup de massue sur la tête : "Le mensuel "Al Jazira" qui parait à Djerba depuis 1980 risque de clamser"prononce-t-il avec beaucoup de difficulté et de façon soudaine.
Comme Ezzahra, Jerba fait partie de mon être. Car terre natale de mes parents qui tiennent à y aller tous les ans. Et à plusieurs reprises. Et Al Jazira- pour moi- fait grandement partie de l'ambiance, du charme etd es particularités de Jerba.
C'est entre autres en lisant régulièrement ce mensuel- dans lequel papa publie depuis plus de deux décennies- que je me suis familiarisée avec les notions de préservation du patrimoine naturel , historique et culturel ... C'est d'abord en suivant les pas de papa parmi les vestiges archéologiques de Djerba plus que méconnues et difficilement repérables que je me suis entichée d'histoire et que je me suis intéressée aux racines si diverses te si complémentaires de mon Moi profond... C'est en me querellant de temps à autre avec papa à propos d'Al Jazira parce qu'un article de lui était publié sur un numéro qui me paraissait trop dévoué au pouvoir en place ou qui comportait un éditorial "trop lèche-cul", que j'ai su ce qui étaient des notions comme " ne pas céder des espaces, plutôt en gagner", "tolérer les différences , la diversité et même des fois ... les conneries...", "toujours tendre vers le mieux mais n gardant pieds dans la réalité réelle..."
Et c'est "Al Jazira" qui a publié le premier article que j'ai écrit alors que j'étais encore collégienne.
Dans mon esprit et, mieux, dans mon vécu "Al Jazira", est ce canard qui a fini par devenir le lieu de rencontre de tous les Djerbiens quel que soit le lieu de résidence et de tous les amoureux de Djerba. Il est aussi cette feuille qui a fourni une tribune à des voix parfois si dissonantes, qui -en des temps pendant lesquels il était plus que difficile de s'exprimer- s'est faite porte-parole des écologiste, des amis du patrimoine, des quelques associations indépendantes, des historiens, géographes et urbanistes non conformistes.
"Al Jazira" est donc menacé de péricliter, de disparaître, de ne plus exister.
"Al Jazira" ne trouve plus de publicité. Les autorités publiques ne lui octroient plus d'annonces que parcimonieusement. Les privés, de leur part, se font de plus en plus avares du fait de leur situation.
Les autorités locales te régionales sont inscrits aux abonnés absents.
Certains des quelques mécènes qui aidaient le mensuel parce qu'il" s'ouvrait à des voix non officielles" voudraient maintenant l’accaparer par leur ligne, leur idéologie ou la mouvance à laquelle ils adhèrent.
Cette situation dure depuis bienot deux ans.
Mais comme un malheur ne vient jamais tout seul.
Voilà qu'"Al Jazira" est aujourd'hui menacé d’être mené devant les tribunaux ...
Et par qui s'il vous plaît?
Par la commune de Midoun. Ou précisément par la Délégation Spéciale qui a été désignée par les autorités pour la gérer.
En effet, "al Jazira" a bien été convoqué par la Garde Nationale pour répondre à une plainte en diffamation déposée contre elle par la dite délégation spéciale et pourquoi, s'il vous plaît.
Eh bien! C'est parce que Helmi Jariri ( journaliste en herbe et fils du fondateur et rédacteur en chef, Lotfi Jeriri) a osé dire dans un article publié dans le numéro d’août que Midoun a beaucoup souffert d'un plan d'aménagement dépassé, de pratiques frauduleuses d'octroi d'autorisations et de permis, et s'est demandé si certaines de ces pratiques ne se perpétuent-elles pas?
Initiative malheureuse ou démarche mal intentionnée de mise au pas ? Le résultat étant le meme dans les deux cas , la réponse importe peu .
Mais c'est à nous tous de nous mobiliser.
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